Tout est parti d’un « tu viens »
“Une pièce allemande mi-comique mi-tragique qu’on a revisitée de façon un peu absurde et timburtonesque…. On joue dimanche dans un sous-sol sur la 11 avec une bande de fous : tu viens ?”
Edouard Dosseto, metteur en scène du Prince de Hombourg
Voilà ce qu’Edouard Dossetto, metteur en scène du Prince de Hombourg, m’a dit ou presque au bout de dix minutes lors de notre première rencontre au café Grévin. Il n’en fallait pas plus pour attiser ma curiosité : mon dimanche ne pouvait se finir ailleurs que dans cette ancienne boîte de nuit sado-maso reconvertie en lieu de culture : le théâtre de l’Orme.
sas d’immersion
On y arrive comme on se rend chez un ami : l’endroit se situe dans une zone résidentielle proche du métro Télégraphe, entre deux porches d’immeubles. On passe alors un portail majestueux auquel il convient de sonner pour entrer : une touche de mystère s’ajoute encore à la description d’Edouard…
Surprise : on est accueilli à l’extérieur par un énergumène fort sympathique ne finissant jamais ses phases, avant d’entrer par une porte aux airs de terrier d’Alice au pays des merveilles qui se serait égaré là par mégarde… Musique : le suspens est à son comble…
au coeur de l’action
On entre et là : mon cerveau ne comprend plus rien, il se laisse guider par les mille péripéties d’un prince décadent dont les péripéties fusent comme des feux d’artifice dans un espace à la punchdrunk. Entre créatures étranges, échassiers, combats magistralement chorégraphiés, les textes, choisis avec soin, sont brillamment mis en lumière par le collectif Nuit Orange, dans un style tragi-comique plein de philosophie répondant au dilemme obsessionnel du théâtre classique : faut-il mourir en noble ou vivre en lâche ? Kant est convoqué à travers le questionnement du principe de pureté de la volonté, soutenue dans un premier temps, suivi par Bentham avec une prise de conscience de l’acte fatidique comme symbole de la paix du royaume et de la soumission à l’Ordre. Pureté de la volonté ou conséquentialisme trancheront (ou pas) la sentence (et la tête) d’un Prince un peu névrosé, poète maudit, amoureux fantasque et valeureux soldat. On attend le verdict en haleine, en passant par les yeux de chacun des personnages mus par leurs désirs et leurs fragilités, leur destin et leur noblesse… Avec Le Prince de Hombourg, c’est la question du choix ultime que parvient à poser Edouard Dossetto avec finesse, humour et légèreté : le dilemme de la vie et de la mort, celui du normativisme et de la grâce… Un défi réussi grâce à une mise en scène intelligente et déambulatoire, entre rêve et réalité.
l’avis de romane
Côté immersion, on assiste à des tableaux qui nous parlent parfois sans nous convier à l’action : les scène sont écrites, mais la liberté des comédiens, qui s’adressent parfois directement à nous, amène des interactions drôles et efficaces grâce à une équipe à l’écoute et pleine de malice. On s’y sent bien, l’équipe s’éclate – et nous avec ! Pas de rôle pour les visiteurs, donc, mais une exploration à trois-cent-soixante degrés de cette pièce singulière suivant un chemin narratif et géographique plein de rebondissements. Le décor, minimaliste mais très bien pensé, nous invite aisément au voyage dans le temps et l’espace. Les costumes, la musique et la lumière font leur effet, mais c’est la performance des comédiens et l’intelligence de la mise en scène qu’il convient en premier lieu de louer.
Après un final jouissif – surtout pour les amateurs d’humour noir – et pleinement conclusif, on hésite pourtant à applaudir, encore en haleine, on en veut encore ! Alors on se dirige vers le bar où l’on peut à loisir discuter avec la troupe aussi sympathique que talentueuse !
conclusion
En conclusion : la promesse d’une obscure pièce allemande laisse place dans ma tête à une immersion contemplative réussie – oui je sais, on a envie de guider le Prince mais gardez-vous en, il saura très bien vous amener où il veut ! –, ponctuée d’effets prenants aux tripes entre performance dramatique et circassienne… Le tout joué par une troupe trop chouette. Une pièce de théâtre déambulatoire qui s’autorise un contact bienvenu avec un public restreint et plein d’entrain : c’est tout ce qu’on aime, alors dépêchez-vous de prendre vos places pour le Prince de Hombourg !